L'hiver, le foyer, la cuisine
Entre sentiers, cabane et plat qui mijote
Dimanche. Le réveil ne sonne pas. La maison est encore silencieuse. Je descends à pas feutrés, allume le feu sous la bouilloire, et un second sous une casserole d’eau. J’attrape le pot que j’ai préparé avec quelques plantes – ortie, camomille, lavande et aubépine – et verse ces dernières dans la théière. La bouilloire siffle et l’eau bout – je fais doucement glisser un œuf dans la casserole et verse de l’eau dans la théière : les plantes dansent et teintent doucement l’eau d’une couleur de foin d’été. Après trois petites minutes, l’œuf rejoint le coquetier aux fleurs bleues qui l’attend sur la table en bois. Tandis qu’il repose, je coupe une belle tranche de pain au levain, y dépose du chèvre frais fermier, quelques épines de romarin fraîches et hachées et un généreux filet d’huile d’olive. Et tandis que les volutes de fumée se dégagent de la tasse, j’entends les premiers chants d’oiseaux, timides au cœur de l’hiver. J’aime croire qu’ils m’annoncent une journée ensoleillée.
Le soleil est bien là. Alors prendre la poudre d’escampette, enfiler les chaussures encore boueuses de la fin de semaine dernière, un bonnet et une écharpe. Le soleil d’hiver se mêle à son froid mordant. Ce froid ensoleillé qui fait se sentir vivant. Parcourir les chemins, être attentif aux alentours et aux détails que l’on rencontre. Les vaches dans le champ et la fumée de leur respiration qui presque pourrait se mêler à la mienne. Monter un sentier étroit, voir les rayons du soleil qui traverse les arbres encore nus. Entendre les oiseaux, toujours, qui se perchent sur notre passage. Et apercevoir les premiers bourgeons qui se forment, les feuilles des primevères qui bientôt fleuriront et le jaune à peine réel des fleurs de mimosa qui n’attendent que quelques semaines pour éclore et devenir soleil à leur tour. Marcher et s’apaiser. Marcher et s’émerveiller. Marcher et se sentir vivant.
« J’étais comme toujours émerveillée par les objets et les paysages simples qui m’entouraient, sentant que, dans les années à venir, atteindre la concentration indispensable pour vivre plus continûment dans un état de vigilance poétique serait ma grande affaire, car seules cette concentration et cette vigilance permettent de ressentir pleinement la puissance de l’existence, des lieux et de la joie. »1
Et retrouver la chaleur de la maison, la chaleur du foyer. Je prépare les légumes : les fenouils de Clément, le maraîcher d’à côté, ses endives et ses oignons rouges. Les haricots secs, trempés la veille. Et la pâte à pâtes, malaxer au petit matin. Découper les fenouils, les endives en deux, les oignons rouges finement tranchés et l’ail écrasé. Faire rissoler dans de l’huile d’olive – l’odeur des oignons dorés qui embaument la maison. Saisir les endives, et ajouter le fenouil. Déglacer avec un verre de vin rouge nature. Verser les tomates de l’été, qui attendent dans les bocaux au fond des placards. Deux feuilles de laurier. Le sel de l’Île de Ré. Et une belle cuillère de piment d’Espelette. Je laisse mijoter les légumes tandis que les haricots cuisent dans une eau infusée au romarin.
Quelques nuages viennent cacher le soleil. Alors j’allume la bougie sur la table de la cuisine. Sa lumière enveloppante et sa sensation de chaleur m’offre presque le réconfort d’une cheminée. Et à la place du bois qui crépite, la marmite, derrière moi, qui mijote. Je prends alors le temps d’étaler la pâte pour les linguines. De l’épaisseur d’un drap ancien. Et découper, à la main, chacune d’entre elles. Lignes méditatives.
La table est mise : les fleurs peintes au pourtour des assiettes chinées m’aident à patienter jusqu’à l’arrivée des premières jonquilles et renoncules ; les serviettes en lin ; le dessous de plats en bois fabriqué à la main ; l’eau dans la carafe ; la musique en fond qui évoque les chemins et les tables simples et joyeuses. Et plonger la louche dans le mijoté de légume, attraper des linguines que je dépose par dessus.
« Tisser son Foyer pour abriter ses rêves et ancrer ses nouvelles réalités - La plupart de nos rêves, de nos aspirations, vont prendre d’une manière ou d’une autre racine au sein même de notre foyer et de notre quotidien. »2
Le dimanche se poursuit, un livre dans une main, un café dans l’autre. S’offrir le temps du repos… Le temps de la sieste. Le temps de la lecture. Le temps de la cuisine. Passer le reste du dimanche dans le nid, dans cette cabane perchée que l’on s’est créée - comme j’aime l’appeler ainsi depuis que l’on a les clés : notre cabane perchée.
« Il suffit souvent d’un drap et de deux planches, d’un arbres ou même d’un vieux carton, pour que n’importe quel enfant du monde s’adonne au même jeu : construire une cabane. Élaborer un repaire semble être une tendance incroyablement universelle, presque primitive, et fondamentalement réjouissante. Il est merveilleux de constater combien nous cherchons non des abris mais bien un abri, unique, propre, qui serve à la fois de point de départ et de point d’arrivée, un toit fixe qui nous protégerait du reste, et qui nous permettrait d’être pleinement nous-mêmes. Chercher une maison, n’est-ce pas chercher une cabane ? »3
Je mesure la chance de mes dimanches. Alors je les savoure. Je mesure la chance de cet espace que m’offre mon foyer pour y déployer ma créativité et accueillir mon besoin de repli, de repos. Alors je le savoure. Ce récit effleure toutes mes réflexions du moment : la place de la cuisine au sein du foyer ; le foyer comme refuge et comme espace où prendre soin ; le besoin de s’émerveiller… Je les laisse mijoter, à l’image des légumes du dimanche midi un jour d’hiver.
1 Belinda Cannone, S’émerveiller, Editions Stock
2 Laura Wencker, pour son atelier en ligne Tisser son foyer pour abriter ses rêve et ancrer ses nouvelles réalités, OneOneness.com
3 Céline Gabaret, dans son article Le pouvoir des maisons, pour le magazine Grain
La soupe des papardelles aux orties
Les papardelles sont préparées avec une farine de petit épeautre, une graine ancienne qui n’a pas été hybridée. Le petit épeautre est moins riche en gluten que le blé moderne et est mieux digérer et assimilé par le corps. Saviez-vous que les tomates contiennent un antioxydant, le lycopène, qui ici est libéré et rendu actif grâce à la cuisson des tomate, d’où l’intérêt de mettre les tomates de l’été en bocaux. Les orties font parties de mes plantes préférées. J’aime leur goût mais aussi tous les bienfaits qu’elles offrent : reminéralisantes, anti-inflammatoires…
12 à 15 cm de courge longue de Nice
1 oignon rouge
2 gousses d’ail
300 g de passata
100 g de lentilles vertes
1/2 bouquet de persil
3 verres d’eau
Huile d’olive
Les épices
1 cuillère à café de paprika
1 cuillère à café de paprika fumé
1 cuillère à soupe d’herbes de Provence
Piment d’Espelette
Pâte à papardelles
1 œuf
100g de farine de petit épeautre
5g d’orties séchées
Optionnel
Un morceau de tomme de chèvre râpé
Préparer la pâte à pâtes. Battre l’oeuf. Mélanger la farine à l’ortie séché et haché finement. Faire un puit et y mettre l’oeuf battu. Incorporer l’oeuf à la farine à l’aide d’une fourchette, avec patience, petit à petit. Puis finir à la main et malaxer la pâte sur le plan de travail afin d’obtenir une pâte homogène et presque brillante. Laisser reposer au frais pendant 15 à 30 minutes. Enfin, étaler la pâte assez finement et découper les pappardelles (ce sont des pâtes comme des rubans).
Mettre les lentilles à tremper la veille dans un saladier d’eau.
Couper l’oignon rouge en petit morceaux et écraser puis hacher l’ail. Couper la courge longue de Nice en petit cubes. Faire revenir l’oignon dans de l’huile d’olive. Quand il est bien doré, ajouter les cuillères de paprikas. Faire revenir une petite minute en remuant puis ajouter les lentilles rincées et égouttées. Verser la passata ainsi que les verres d’eau, l’ail et les herbes de Provence. Faire cuire à petit feu, juste de quoi faire frémir l’eau, pendant environ 15 minutes. Puis ajouter la courge longue de Nice, le piment d’Espelette et du sel. Cuire sur feu très doux, cocotte couverte pendant 15 minutes supplémentaires (vérifier la cuisson et ajuster l’assaisonnement au besoin).
Pendant ce temps cuire les pâtes dans une grande casserole d’eau.
Servir en mélangeant les papparadelles et les 3/4 du persil à la soupe aux lentilles. Dresser avec le reste de persil, un généreux filet d’huile d’olive et une belle pincée de tomme de chèvre râpé.
Bienvenue dans la Lettre d’exploration du quotidien. Ici, je pars explorer un domaine, un concept, un sujet, une pensée, une réflexion, une situation qui m’aide à avancer dans le prendre soin – de soi, des autres, du vivant. Qui m’aide à cheminer.
J’ai à cœur à travers cette Lettre, de semer des graines qui fleuriront une pairie joyeuse et légère, forte et sensible. D’offrir, à travers ma propre introspection partagée, mon propre cheminement et apprentissage, cet espace d’attention, de retour sur soi et sur le monde, et de partage.
La Lettre d’exploration du quotidien est une invitation à prendre le temps de la réflexion, une invitation à prendre soin et à poser les mots.
Cette lettre est une lettre ouverte, vous pouvez me répondre à emily.kerivel@gmail.com si le cœur vous dit, cela me fera sincèrement plaisir.